terça-feira, abril 13, 2010


Não ao novo nacionalismo alemão. 
Não a uma Europa germanizada. 
Não ao Euro-DM. 
Não a Angela "Bush" Merkel . 
A Europa é um projecto político 
e não uma mera zona
de Comércio Livre - 1/2


Point de vue
Non à l'Allemagne du repli, par Ulrich Beck
LE MONDE | 10.04.10 | 14h06  •  Mis à jour le 10.04.10 | 14h06

a loi numéro un de la société du risque mondialisée pourrait s'énoncer comme suit : il ne faut jamais laisser passer un risque global sans en profiter, il est l'occasion de faire de grandes choses. C'est là un libellé que l'on n'est toutefois pas tenu d'interpréter dans une perspective multilatérale et "cosmopolitique" ; on peut aussi y voir l'occasion d'une réponse politique unilatérale et nationale. Lorsque la chancelière fédérale allemande Angela Merkel profite de la crise monétaire européenne pour redéfinir la politique budgétaire de la zone euro dans l'optique d'une Europe allemande, elle nous en donne un clair exemple.
Alors que le risque financier mondial tenait la planète en haleine, les gouvernements furent encensés pour avoir, contre toute attente, pris l'initiative politique de sauver l'économie mondiale par leurs propres moyens. L'an dernier, les banques étaient le problème ; cette année, ce sont les gouvernements. Qui, au sein de la zone euro, les sauvera de la banqueroute publique ? Le risque implique l'anticipation de la catastrophe au présent, lequel n'est bien sûr pas, c'est l'évidence même, le futur anticipé et effectif.
C'est en ce sens que les gouvernements européens luttent contre ce qui était jusqu'ici impensable, le spectre d'une possible banqueroute publique et de l'effondrement de l'euro qui hante les marchés financiers. Il y a peu encore, l'euro était le point d'ancrage fiable qui assurait la stabilité, en ces temps de turbulences financières mondiales.
Et voilà soudain que s'impose la décision de principe : coopérer ou échouer ! Je me suis dit : mon Dieu, quelle chance ! Si l'Union européenne n'existait pas, il faudrait l'inventer pour empêcher l'effondrement de l'euro. Emmanuel Kant ou la catastrophe ! Il nous faut un euro fort et stable, c'est donc le moment ou jamais de mobiliser la volonté politique et de faire en sorte que la politique de paix par d'autres moyens, la coordination et l'intégration de la politique économique franchissent un nouveau pas décisif.
A moins que l'Allemagne n'estime que le temps est venu de se défendre contre l'Europe - le succès allemand comme modèle, face aux abus de voisins européens jaloux qui voudraient soigner leurs déficits publics en tapant dans le porte-monnaie des Allemands ? Le nationalisme réciproque qu'avancent certains Européens pragmatiques n'est-il pas la solution ? Non seulement il permet que chaque Etat règle ses propres problèmes de finances de manière autonome, mais il lui en fait même le devoir.
Chaque nation devant reconnaître la souveraineté des autres nations européennes, toutes doivent du même coup éviter les conséquences négatives que leurs décisions de politique économique peuvent entraîner pour les autres. C'est là un point de vue qui repose sur trois principes - égalité de droit, trains de mesures concertés et responsabilité réciproque - auxquels s'ajoute un quatrième : le refus strict que soit étendue la compétence de l'UE en matière de politique économique.
Si, par beau fixe, ce modèle du nationalisme réciproque peut suffire, en des temps où l'euro est menacé d'effondrement, il ne peut qu'échouer. L'incompatibilité des politiques budgétaires et financières et des systèmes sociaux et fiscaux ouvre un champ politique miné, tant au sein des nations qu'entre les nations. Aucun Etat n'est assez fort pour sortir les autres des sables mouvants ; dans le même temps, il n'apparaît que trop clairement à quel point tous sont liés les uns aux autres en réseau : qu'un Etat fasse banqueroute, et les autres sont menacés d'être engloutis avec lui.
Un "impératif cosmopolitique" se dégage des risques financiers actuels, en ce sens qu'ils contraignent à la collaboration y compris des acteurs-clés qui, telle la chancelière fédérale, ne veulent absolument pas en voir la nécessité.
La crise provoquée par les risques qu'encourt l'euro a catalysé de nouveaux rapports de pouvoir. Lorsqu'il s'agit de décider, ce n'est pas la Commission européenne qui prend les choses en main, ni le président de l'Union européenne (UE), ni le président du Conseil, pas plus que la France, l'Italie, l'Espagne ou le Royaume-Uni ; dans les cas critiques, c'est la chancelière fédérale allemande qui agit en étroite collaboration avec le président français, Nicolas Sarkozy.
Angela Merkel n'est pas Angela Kohl ou Angela Brandt. Le chancelier Kohl avait déclaré dans son programme de gouvernement pour les années 1991-1994 : "L'Allemagne est notre patrie, l'Europe notre futur." Willy Brandt avait dit lors de la première session du Bundestag de l'Allemagne réunifiée : "Etre allemand et être européen, désormais, cela va ensemble et, espérons-le, à jamais." La torsion à laquelle la chancelière Merkel a soumis cette profession de foi froisse un nerf sensible, et pas seulement chez les voisins européens.
Elle n'est pas non plus Maggie Merkel, soumettant d'une main de fer l'Europe à la logique du marché. Elle est Angela Bush. A l'instar du président américain George W. Bush, qui utilisa la logique du risque pour dicter au reste du monde son unilatéralisme par une déclaration de guerre au terrorisme, Angela Bush a utilisé le risque financier en Europe pour imposer au reste de l'UE la politique allemande de stabilité.
Le deutsche mark fut la monnaie de la puissance allemande. Il faut désormais qu'il en soit de même avec l'euro. Après coup et avec constance, le nationalisme du deutsche mark est imprimé dans cet euro aujourd'hui menacé d'effondrement. Les bases de la politique allemande d'après-guerre, en l'occurrence le multilatéralisme, ont été tout bonnement sacrifiées, au nom de l'Europe, sur l'autel de la "stabilité de l'euro", au prix d'un étonnant mélange d'autoréférentialité, d'autosuffisance et d'auto-illusion.
Mais l'offensive de Merkel en faveur du "deutscheuro" - DE - s'inscrit dans un cadre plus large. Tant dans le domaine économique que dans celui de la politique extérieure ou dans celui des interventions de la Bundeswehr à l'étranger, la chancelière est la porte-parole d'une nation repliée sur elle-même, une Allemagne qui a cessé d'être la plus européenne des Européens et qui préfère minimiser ses alliances et ses obligations dans le cadre de l'Union ; une Allemagne qui caresse un avenir de "grande Suisse" ou de "petite Chine" (des excédents extérieurs avec une demande intérieure limitée) ; une Allemagne qui redéfinit son histoire constitutionnelle d'après-guerre dans le sens d'un Etat-nation autoréférentiel, et, last but not least, une Allemagne qui reprend à nouveaux frais la "question allemande" dans le cadre européen.
Derrière tout cela, ce qui est en train de prendre forme politiquement, c'est l'illusoire légende nationale que forgent certaines élites intellectuelles. Celles-ci stigmatisent l'absence de visage de la bureaucratie européenne (comme récemment Hans-Magnus Enzensberger dans le Spiegel) ou le recul démocratique (l'arrêt de la Cour constitutionnelle sur le traité de Lisbonne - autre exemple éclatant, au demeurant, du nouvel unilatéralisme allemand) ; ce faisant, elles formulent implicitement l'hypothèse absolument irréaliste d'un retour possible à un idyllique Etat-nation.
Règnent une foi aveugle en l'Etat-nation à rebours de sa propre historicité, et une naïveté opiniâtre et déconcertante qui fait que l'on tient pour éternel et naturel ce qui passait il y a encore deux ou trois siècles pour absurde et totalement étranger à la nature. Ce nationalisme intellectuel et son illusoire légende nationale fondée sur la nostalgie ne sont pas seulement à l'oeuvre dans d'obscurs coins d'Europe en proie au populisme de droite, ils dominent dans les cercles les plus instruits et les plus cultivés.
Le modèle allemand d'après-guerre était porteur d'une politique étrangère empreinte de la plus haute modernité : il était postnational, multilatéral, fondé sur une approche économique forte, pacifique au plus haut point et sous tous ses aspects - prêchant l'interdépendance tous azimuts, partout en quête d'amis et ne s'imaginant nulle part d'ennemis. "Puissance", "pouvoir" étaient quasiment des gros mots, qu'il fallait remplacer par celui de "responsabilité" ; quant aux intérêts nationaux, ils demeuraient toujours discrètement relégués, telles de vieilles chaises Charles X, derrière un épais rideau dans lequel étaient tissés les mots "Europe", "paix", "collaboration", "stabilité", "normalité", voire "humanité".
N'est-ce qu'une impression ou un état de fait : l'Europe unie mentionnée dans le préambule de la Loi fondamentale a-t-elle effectivement cessé d'être l'étoile polaire de la politique allemande et de la manière dont les Allemands se comprennent eux-mêmes ? Si tel était le cas - et cela exigerait une vive discussion au sein et à l'extérieur de l'Europe -, c'en serait fini de la belle époque de l'Allemagne et de l'Europe. L'UE serait en passe de redevenir une zone de libre-échange de luxe - dans une société du risque mondialisée, où aucun pays ne peut résoudre ses problèmes seul.
(Traduit de l'allemand par Christian Bouchindhomme)






Ulrich Beck est sociologue et philosophe
En 1944, professeur à l'université de Munich, cet intellectuel allemand s'est fait connaître, en 1986, par sa "Société du risque" (Aubier, 2001). Il y caractérisait notre époque comme postindustrielle et postnationale. Européen convaincu à l'ère de la mondialisation,
Il est notamment l'auteur d'un "Qu'est-ce que le cosmopolitisme ?" (Aubier, 2006). (PHOTO : DR)

Article paru dans l'édition du 11.04.10


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